Qui classe…ment

Qui Classe, Ment…

Et revoilà la floraison des marronniers (journalistiques) avec leur défilé de Classements et Palmarès en tout genre, affolant les établissements, choquant leurs personnels, troublant les résidents et leurs entourages dans le but officiel d’informer les futurs candidats à l’hébergement dit médicalisé.

Le 29 janvier 2011, le Figaro, puis le 23 mars 2011 France Info et son guide de la dépendance (tout un programme !) ont passé les « Maisons de retraite » ou « EHPAD » dans des moulinettes sélectives au fonctionnement très spécial.

Le Figaro a questionné les établissements par mail en leur posant quelques questions basiques déjà consultables sur n’importe quel site ou annuaire en ligne qui n’apportent en soi aucune information probante sur les qualités réelles des établissements. Devant le manque de sérieux de la démarche, la Fédération Hospitalière de France qui rassemble les maisons de retraite publiques a suggéré à ses établissements adhérents de ne pas répondre au questionnaire. Réaction du Figaro : Création d’une « Liste Noire » (apprécions la force du symbole) des établissements publics n’ayant pas répondu et adjonction de ce commentaire: « une attitude qui contribue au malaise et à la mauvaise réputation de ce secteur ». Par je ne sais quel hasard, l’EHPAD de Salornay se retrouve classé 20ème des maisons de retraite bourguignonnes sur la seule base des quelques réponses qu’il a transmis à la rédaction du Figaro. On notera au passage que l’établissement classé premier dans cette région est un EHPAD qui accomplit l’exploit d’avoir un ratio de personnel de 0.887 pour 53 résidents (ce qui est très très au dessus de la moyenne) tout en affichant un tarif d’hébergement mensuel de 1278 € (ce qui est très en dessous de la moyenne) ! L’établissement que j’ai contacté a en réalité un ratio d’environ 0.57 et un prix d’hébergement mensuel d’environ 1400 €.

Avec France Info qui a mis en ligne un palmarès issu de son récent « guide de la dépendance », on note un effort notoire puisqu’il est expliqué que des enquêteurs ont accomplit un « travail de fourmi pendant 6 ans » en passant chaque fois anonymement une heure dans chaque établissement visité. Pas de chance : 9 500 établissements sur environ 10 000 ont été visités et pas celui de Salornay ! Conséquence malheureuse pour la réputation de notre établissement, le lectorat non averti ne voyant pas apparaitre le nom la maison de retraite dans le palmarès, en déduit forcément qu’il s’agit d’un établissement à éviter. C’est déjà ce qui s’était produit en février 2010 avec le palmarès du journal de Saône et Loire (quand je vous disais que c’était un marronnier…) qui avait également omis l’existence de l’EHPAD de Salornay. Un comble pour un des rares EHPAD qui dispose depuis 4 ans d’un site internet très documenté et qui fait l’objet en moyenne d’un millier de consultations par mois. Autre observation importante : France Info indique que cela fait six ans que l’enquête à démarré. Cela signifie que le classement diffuse un certain nombre d’informations qui ne sont pas de première fraicheur surtout lorsque l’on sait que de nombreux programmes de réhabilitation ont été menés ces dernières années ainsi que l’ouverture de services comme les unités de vie accueillant des résidants atteints de la maladie d’Alzheimer. Enfin, notre établissement doit répondre à tellement de demandes d’informations et de visites qu’il y a fort à parier que si un visiteur vient à l’improviste s’informer, le personnel d’accueil n’aura pas la disponibilité immédiate pour organiser un entretien d’une heure avec visite et proposera une prise de rendez-vous. L’expérience montre donc que le résultat obtenu par ces enquêtes, classements et palmarès ne semblent apporter qu’une information tronquée et inexacte aux lecteurs. En revanche elle a pour effet de stigmatiser gravement et souvent sans fondement des établissements, les personnes qui y travaillent et sèment sans preuve le trouble chez les résidents, les familles, les partenaires.

Par ailleurs et outre, les observations précédentes relatives aux méthodes de travail des enquêteurs, on reste perplexe devant la forte place en tête des classements des maisons de retraite commerciales à but lucratif appartenant à des groupes financiers. Quand on sait qu’un établissement à but non lucratif a beaucoup de difficultés pour boucler son budget et financer en particulier les ressources humaines nécessaires, on se demande avec étonnement comment un établissement qui doit en plus dégager des marges pour rémunérer des actionnaires, peut apporter une qualité de service notoirement supérieure.

Au lieu de s’humilier, de nous humilier, de tromper les lecteurs par la réalisation de classements hasardeux, les journalistes feraient œuvre de salubrité publique en décryptant les vrais enjeux de société sur ce thème aussi sensible du développement du vieillissement. Comment aider la société à regarder en face le vieillissement et ses réalités ? Les débats sur l’aide et l’accompagnement « du grand âge » ne sont évoqués qu’en termes de charge, de coût et de dépendance, alors qu’il s’agit de sources d’emploi, de relation, de valeur ajoutée, d’humanité. Comment ne plus opposer le maintien à domicile et la maison de retraite. Il y a actuellement avec le débat sur le 5ème risque (noter au passage la portée symbolique de la notion de risque) des nouveaux chemins solidaires à tracer.

Pour les personnes qui auraient besoin de mesurer la qualité et la performance des établissements, il est alors préférable de regarder du côté des résultats des démarches évaluatives désormais obligatoires. Dans les hôpitaux, cela fait maintenant plusieurs années que les résultats des évaluations sont publiés et consultables librement sur le site de l’HAS (Haute autorité de Santé) Pour les maisons de retraite, la démarche est plus récente et les établissements ont jusqu’à 2014 pour se conformer à une évaluation validée par des visiteurs experts et dont les résultats seront publiés sur le site de l’ANESM (Agence Nationale de l’Evaluation des Etablissements Médico-Sociaux). Même si ces évaluations présentent les établissements sous un jour plus technique et plus complexe, ce qui intéressant, c’est qu’elles font apparaitre une dynamique évolutive par l’inscription de recommandations et de priorités d’amélioration. En attendant, d’excellents sites comme agevillage.com, 3evie.com ou maisons-de-retraite.fr offrent des guides très approfondis aux personnes voulant comprendre les maisons de retraite sans pour autant que soit porté un jugement que seul chaque usager et ses proches peut réellement réaliser en fonction de ses propres souhaits, besoins et attentes.

En conclusion, la maison de retraite Lucie Aubrac réaffirme son opposition (déjà affichée en janvier 2010), aux classements. Loin de prétendre à la perfection, elle s’inscrit dans une dynamique permanente de progrès à travers la réalisation de son projet d’établissement et défend des valeurs d’humanisme et de solidarité. Comme la plupart des établissements, elle souffre des injonctions paradoxales entre obligations réglementaires et moyens disponibles. N’ajoutons pas la souffrance supplémentaire d’une vindicte populaire conséquence injuste du manque d’éthique et de discernement de quelques journalistes.

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